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15 septembre 2022  Archives des actualités

Sud-Kivu : l’agriculture pour reprendre espoir

Récit de mission en République démocratique du Congo

En janvier, une équipe de deux personnes d’Entraide et Fraternité s’est rendue au Sud-Kivu, en République démocratique du Congo, à la rencontre des projets menés par nos partenaires. Découvrez le récit de leurs rencontres marquantes avec le Comité pour l’Autopromotion à la Base (CAB), partenaire historique de notre association, qui mène de nouveaux projets auprès des jeunes, et du Centre de Promotion Rurale Idjwi (CPR), nouveau partenaire d’Entraide et Fraternité.

CAB : accompagner les jeunes à lancer leur entreprise

Entraide et Fraternité soutient le CAB depuis quelques années afin de promouvoir l’entreprenariat agricole auprès des jeunes. Une tâche difficile car l’agriculture est considérée par les jeunes comme une affaire de vieux et d’analphabètes.


« Il y a un dicton qui dit ‘La tête qui a étudié ne peut pas toucher les choses sales, la terre’. »

Justin, 20 ans


28 entreprises ont toutefois déjà été lancées et regroupent plus de 1500 jeunes. Un véritable succès dont le CAB est fier de nous présenter quelques repré- sentants et représentantes.

Les jeunes « sorciers des déchets »

Nous retrouvons le CAB aux abords de Bukavu, capitale de la province du Sud-Kivu, dans une petite ruelle où on ne pourrait soupçonner que de véritables innovations sont en train d’être développées. Nous passons une petite porte pour nous trouver au cœur d’une cour où une trentaine de jeunes sont en train de trouver des solutions à plusieurs problèmes de la région.

« Bienvenue à Briquettes du Kivu ! » clame Jean Bosco, chargé des ventes de l’entreprise. Il nous présente avec fierté leur charbon écologique : « Nous recyclons les déchets biodégradables comme la canne à sucre, la peau des oranges… pour fabriquer du charbon écologique. Il permet de remplacer le charbon de bois, utilisé pour cuisiner ou se chauffer et qui détruit nos forêts et notre santé. En plus, il est moins cher, ce qui permet aux familles d’économiser et d’investir ailleurs. Les gens nous traitent de fous et de sorciers mais ce que les autres jettent ou négligent, c’est ce qui amène de l’argent. » Une idée brillante qui répond à des défis économiques, environnementaux et sanitaires !

Mais Briquettes du Kivu ne s’est pas arrêté là. Cinq cages attirent notre attention. Angela Munguantable, responsable de l’élevage des mouches soldats noirs, nous explique : « Nous avions certains déchets comme les fruits et légumes pourris qui étaient inutilisables pour fabriquer le charbon écologique. Nous avons eu l’idée de lancer un élevage de mouches soldats noires. Leurs larves se nourrissent de ces déchets et, riches en protéines, elles sont utilisées comme nourriture pour le bétail ou les poissons. C’est moins cher que les protéines classiques que les paysans et paysannes doivent acheter. Cela lutte contre l’insécurité alimentaire ! »

Des initiatives impressionnantes d’ingéniosité mais qui se réalisent encore de manière artisanale, faute de moyens, comme l’explique Murhula Zigabe, fondateur de l’entreprise : « Plusieurs médias internationaux sont venus pour parler de nos initiatives. Mais cela ne nous a pas apporté de financements. Nous avons pourtant besoin de matériel pour pouvoir répondre aux demandes qui explosent. »

La terre, ce nouveau bonheur des jeunes

Nous reprenons la route à travers la campagne à la rencontre notamment d’un groupe de jeunes accompagné par le CAB dans la transformation des fruits en jus et en vin. Jean-Pierre est un exemple de réussite du groupe : « À l’école, l’agriculture est vue comme une véritable corvée et une activité sans avenir. Les autorités ne soutiennent pas l’agriculture. Pourtant, nous avons un trésor qui se cache sous nos pieds. Quand j’ai commencé, je n’avais que 10 dollars. J’ai plus de 3000 dollars en épargne aujourd’hui ! Grâce à l’agriculture, je peux envoyer mes enfants étudier en ville. J’ai aussi pu acheter trois petits champs et j’engage certains jeunes pour s’occuper de différentes activités. J’ai créé un groupe Whatsapp avec 50 jeunes du village. Je mets des photos de mes activités et je donne des conseils sur comment gérer son entreprise agricole. » Une réussite encourageante que nous rencontrerons encore plusieurs fois par la suite. La révolution pacifique est en marche. « J’étais au départ la seule intéressée pour m’occuper des mouches soldats noirs. Les autres fuyaient l’odeur. Moi, je n’ai pas eu peur et c’est une réussite. » Angela Munguantable

Des nouvelles de Brigitte !

Vous souvenez-vous de Brigitte ? Cette paysanne au sourire communicatif était l’image de la campagne de Carême 2018 Elle sème le monde de demain.

Au bout d’un long trajet harassant sur la route la plus chaotique de notre voyage, nous avons eu la chance de la revoir. Entourée des autres membres de sa coopérative, elle nous raconte les péripéties auxquelles il leur a fallu faire face : « En 2020, de fortes pluies ont emporté notre barrage qui irriguait nos champs de riz. Nous avons perdu notre principale source de revenus. Le CAB nous a d’abord appuyés en urgence, par exemple dans la culture d’aubergines qui ne demande pas de système spécifique d’irrigation. Cela nous a aidés mais nous avions moins d’argent qu’avec le riz. Nous avons dû traverser plusieurs mois avec la faim qui nous épuisait. Mais depuis quelques semaines, grâce au CAB, nous avons reconstruit plusieurs petits barrages afin d’éviter de tout perdre si l’un venait encore à être détruit par les pluies. Nous cultivons à nouveau le riz et nous allons pouvoir mieux vivre. » Un dénouement qui nous permet de repartir sous les chants joyeux de Brigitte et de ses compagnons de lutte.

Sud-Kivu : pas de paix sans développement

Le Sud-Kivu est meurtri depuis 25 ans par des violences qui ont affecté des millions de civils. Cette insécurité, malheureusement encore très forte aujourd’hui, est alimentée par des milliers de jeunes désœuvrés qui rejoignent les milices locales dans l’espoir de meilleurs revenus. Il est essentiel de donner aux jeunes d’autres alternatives afin de contribuer à la paix dans la région. L’agriculture, malgré une image négative auprès des jeunes, peut être la solution.

CPR : plongée au cœur d’une île trop longtemps ignorée

Une île paradisiaque. Il n’y a pas d’autres mots. Nous sommes au cœur du féérique lac Kivu, loin du tumulte de Bukavu et de l’insécurité des campagnes martyrisées par les milices. Après un voyage en bateau chahuté par des vagues qui surmontent notre embarcation et qui fait craindre le pire auprès de certains passagers, nous atteignons Idjwi. Unique territoire insulaire du pays, Idjwi est la deuxième plus grande île en Afrique après Madagascar. Ici, le temps a l’air suspendu. Tout est paisible. Nous rejoignons, par des sentiers de terre - il n’y a aucune véritable route, ce qui rend difficile le commerce à l’intérieur de l’île -, le nouveau partenaire d’Entraide et Fraternité : le Centre de promotion rurale (CPR).

Le directeur, Ephraïm, et toute son équipe nous accueillent chaleureusement et nous présentent la situation d’Idjwi : « Nous sommes une île de la paix dans une région de violence. L’île est le seul territoire épargné par les violences de l’est du pays. Cette situation a généré peu d’attention de la part des acteurs de développement alors que l’île, coupée du reste du pays, est frappée d’une forte pauvreté.La population vit de la pêche artisanale, de l’agriculture et de l’élevage. 40 % est en insécurité alimentaire et ne sait manger au maximum qu’un repas par jour. »

L’île aux mille veuves

Ephraïm nous explique qu’Idjwi est surnommée « l’île aux mille veuves » à cause des nombreux hommes qui partent dans des bateaux de fortune essayer de vendre leurs marchandises et qui finissent noyés par les flots. Sans leur mari, les femmes sont alors marginalisées par la communauté.

C’est justement à la rencontre de veuves que nous partons. Nous arrivons sur un champ où s’affaire une quarantaine de femmes. Courageusement, sous un soleil de plomb, elles travaillent avec force. Dès qu’elles nous aperçoivent, elles s’arrêtent et chantent joyeusement pour nous accueillir. Nous nous joignons à cette joie communicative.

Sifa Rehema, 36 ans et présidente du groupe, rassemble ensuite le groupe et prend la parole : « On remercie le CPR de nous avoir trouvé un champ. C’est difficile en tant que veuve de trouver une terre. À la mort de notre mari, nous n’avons droit à rien. La belle-famille récupère tout. Nous cultivons des aubergines, des choux, des carottes, des oignions, des arachides… Grâce au soutien du CPR, nous ne connaissons plus de période où nous n’avons plus rien à manger. Les autres souffrent de la faim mais plus nous. Nous sommes très fières. »

Ensemble, on n’abandonne pas

Ces femmes semblent très soudées. Elles nous le confirment lorsque nous leur demandons l’importance pour elles de travailler ensemble : « Quand on est en groupe, on oublie notre statut social et les discriminations. On se conseille et s’encourage mutuellement. Cela nous permet de ne pas abandonner. On ne peut pas se fatiguer quand on est ensemble. Avant, j’étais moribonde, je me sentais chaque jour malade. Depuis que j’ai rejoint le groupe, les gens sont surpris de me voir toujours joyeuse. On gagne beaucoup plus que des récoltes. Notre groupe est devenu comme un mari. Il subvient à nos besoins quand on fait face à des difficultés. » (Nabazungu Kakupe, 45 ans)

Le CPR nous emmène ensuite à la rencontre de jeunes qui, comme avec le CAB, développent leur entreprise agricole. On repart de l’île avec un véritable espoir. Celui qu’une île ignorée de beaucoup puisse sortir de la pauvreté et manger à sa faim. Quelques semaines plus tard, la Coopération belge au développement accepte de soutenir le nouveau programme d’Entraide et Fraternité dont fait partie le CPR. L’espoir prend forme.


L’entraide est au cœur de notre fonctionnement : « Ce dont on a besoin, si l’autre l’a, elle nous le donne. Lors de notre première récolte, nous avons acheté un dindon et on a vendu les poussins afin de scolariser un enfant d’un membre du groupe. Nous nous sommes aussi bien organisées. Quand l’une de nous vend un produit, les autres ne le vendent pas afin de faciliter les ventes. On s’achète aussi les produits entre nous pour nous assurer de tout vendre. »

Habamungo Beatrice


Un soutien aujourd’hui plus que nécessaire

Le Sud-Kivu, comme toute la RD Congo, fait face à une inflation vertigineuse qui a fait exploser les prix des produits de première nécessité et des denrées alimentaires. Un sac de riz de 25 kg est passé de 16,5 $US à 25,5 $US, un bidon d’huile végétale de 20 litres est passé de 23 $US à 47,5 $US, 1 kg de sucre, de 0,75 $US à 1,63 $US... Une situation à laquelle le gouvernement peine à réagir, dans un contexte politique toujours aussi instable avec de nouvelles élections prévues fin 2023. Le soutien aux projets du CAB et du CPR est dès lors plus que nécessaire ! Entraide et Fraternité redémarre dans ce sens un nouveau programme de cinq ans dans la région avec six organisations partenaires. L’objectif principal est de lutter contre la faim en accompagnant 7950 paysans et paysannes à diversifier et valoriser leur production agricole à travers l’agroécologie. Le programme est soutenu par la Coopération belge (DGD).





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