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20 septembre 2021  Archives des actualités

Interview

Madagascar face à la pandémie de COVID-19

La sécurité alimentaire mise à rude épreuve

La pandémie liée au coronavirus n’épargne pas Madagascar. En effet, tous les problèmes structurels auxquels Madagascar devait faire face avant la pandémie de COVID-19 ont été exacerbés par l’épidémie dont l’impact économique, social et budgétaire risque de se faire sentir sur le long terme. Selon un rapport de la Banque mondiale rédigé en 2020, un quart des ménages malgaches sont désormais en situation d’insécurité alimentaire. Jean Andriamihaja Randriamboahary, coordinateur d’Entraide et Fraternité à Madagascar, nous parle de la situation sur place.

Juste Terre ! : Quelle est la situation à Madagascar aujourd’hui ?

Jean Andriamihaja Randriamboahary : Depuis la mi-mars, la pandémie de COVID-19 s’est réveillée à Madagascar. La population malgache doit faire face au variant sud-africain, deux fois plus contagieux que le virus originel. En juin dernier, les statistiques faisaient état d’environ 11.500 cas et 200 décès par mois mais, pour beaucoup, ces chiffres officiels sont largement sous-estimés. Entre les pénuries d’oxygène, le manque de médicaments et les hôpitaux saturés, la situation semble de plus en plus hors de contrôle. Compte tenu du manque de fiabilité des données officielles, l’impact sanitaire direct de la pandémie est cependant difficile à évaluer à ce stade. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les mesures nécessaires prises par le gouvernement ont perturbé l’ensemble des activités économiques et aggravé les difficultés de la population.

Juste Terre ! : Comment la pandémie impacte-t-elle la population ?

J.A.R. : L’annonce du premier cas avéré de COVID-19 à Madagascar a favorisé l’exode urbain. Face au spectre de la famine due à la pandémie, les travailleurs et travailleuses pauvres des villes ont choisi de fuir vers les campagnes pour vivre des produits des terres de leur famille restée au village. Cet exode a généré une forte pression pour les familles paysannes, qui ont vu le nombre de bouches à nourrir fortement augmenter (de 6-8 personnes à 20 personnes). Compte tenu des difficultés à se procurer des aliments sur les marchés à cause des mesures prises par les autorités, ces familles se sont rapidement retrouvées sans stocks suffisants. Les semences de la prochaine campagne culturale ont dû être consommées. On craint une insécurité alimentaire sévère pour les ménages ruraux s’il n’y a pas de mesures prises pour les aider.

Sans grande surprise, la pandémie de COVID-19 a également eu un impact désastreux sur l’économie du pays. Toutes les prévisions de croissance sont revues à la baisse, comme l’a indiqué le ministère de l’Économie et des Finances dans un communiqué : « En raison d’un ralentissement généralisé des activités économiques, le taux de croissance économique pour 2020 est révisé à 1,5 % contre une prévision initiale de 5,5 %. ». En somme, l’économie est particulièrement touchée, notamment dans les secteurs les plus porteurs comme le tourisme, les transports, le commerce et les industries.

Enfin, seulement un mois après la mise en place de l’état d’urgence sanitaire en avril 2020, l’Alliance Voary Gasy, qui regroupe les organisations œuvrant dans la protection de la biodiversité, déplorait une recrudescence des crimes environnementaux : charbonnage, cultures de céréales, de cannabis ou encore extraction minière dans les aires protégées, coupe et trafic de bois précieux, vente de tortues en danger d’extinction, etc. Si Madagascar souffrait déjà de ces fléaux avant la pandémie, ceux-ci se sont intensifiés depuis la crise (sociale et économique). Ce phénomène se constate sur l’ensemble du territoire. Les trafiquants sont notamment en cause. Ceux-ci profitent du service minimum de l’administration pour piller les ressources naturelles. La population, appauvrie, qui vit à proximité de ces ressources a également sa part de responsabilité dans cette mise en danger des ressources naturelles.

Juste Terre ! :Quels ont été les effets de la pandémie de COVID-19 sur le travail des partenaires d’Entraide et Fraternité ? Comment répondent-ils aux enjeux actuels ?

J.A.R. : Pour limiter les effets négatifs de cette crise et pallier l’absence d’informations sur la pandémie en milieu rural, les partenaires d’Entraide et Fraternité ont revu leur stratégie d’intervention pour l’année 2020. Ils ont reporté toutes les activités collectives au second semestre de l’année et ont substitué les activités, telles que les visites d’échanges et les foires agricoles, pour faire de la prévention à la COVID-19 auprès des ménages bénéficiaires du programme. Approximativement, 4.140 ménages sont désormais sensibles aux gestes barrières. Outre la distribution de kits sanitaires (gels et masques), les partenaires ont collaboré avec des radios communautaires pour diffuser des messages de sensibilisation sur la crise sanitaire et sur la sécurité alimentaire.

Les partenaires d’Entraide et Fraternité ont également renforcé la distribution de semences auprès des membres des organisations paysannes afin qu’elles accroissent la production maraîchère (racines, tubercules, légumes). Cette dotation a permis de faciliter la résilience des ménages dans cette période de crise. Malgré le contexte, on observe une stabilisation des revenus des familles. Il me semble important de souligner la grande adaptabilité des partenaires. Ils ont fait preuve de créativité pour maintenir un certain niveau d’accompagnement et de suivi du programme auprès des organisations paysannes à travers, notamment, l’utilisation du numérique. Ceux-ci ont distribué et formé une dizaine d’animateurs et d’animatrices communautaires à l’utilisation de smartphones et des réseaux sociaux. Cette stratégie a contribué tant à maintenir le lien avec le terrain dans une période de confinement qu’à réduire les risques de propagation du virus dans nos interventions et à assurer la continuité de la mise en œuvre du programme.

Selon les témoignages des organisations paysannes, les efforts déployés par les partenaires ont permis de contrer les effets du changement climatique sur le rendement agricole.

Grâce aux greniers communautaires mis en place précédemment, plus d’une centaine d’organisations paysannes ont pu stocker leur production, par exemple de riz, qui ne pouvait être vendue à cause des restrictions au niveau des marchés. Ce stockage a permis aux paysan·ne·s d’attendre leur réouverture ainsi que la remontée des prix pour vendre leurs récoltes.

L’action d’Entraide et Fraternité à Madagascar

Active à Madagascar depuis près de 30 ans, Entraide et Fraternité soutient les efforts de ses partenaires malgaches dans la promotion et le renforcement de l’agriculture paysanne.

Le programme d’Entraide et Fraternité à Madagascar vise à améliorer l’accès des ménages agricoles à une alimentation saine et suffisante et à une meilleure situation économique à travers le soutien à l’agriculture familiale agroécologique.

Pour atteindre l’objectif, le programme met en œuvre des activités visant l’augmentation de la productivité agricole, tout en renforçant les capacités des paysan·ne·s à prévenir et/ou à faire face aux aléas climatiques, ainsi que l’augmentation et la diversification des revenus des ménages.

Ainsi, malgré la COVID-19, les revenus de plus de 6.000 familles paysannes n’ont ainsi pas diminué, 65% d’entre elles ayant même pu augmenter leurs investissements dans leur exploitation agricole.

L’engagement des femmes s’est encore accru, avec près de 1.300 femmes occupant un poste à responsabilité au sein des organisations paysannes. Une belle réussite du programme, d’autant plus que cette crise a mis à mal les progrès accomplis dernièrement en matière d’égalité des genres et précipité dans le monde 47 millions de femmes et de filles de plus sous le seuil de pauvreté.

Le programme est réalisé en partenariat avec quatre organisations locales : Caritas diocésaine Antsirabe, Centre de promotion rurale Saint-Benoît, Coalition paysanne de Madagascar et le Bureau de liaison des Institutions de Formation Rurale-BIMTT





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