Quels sont les impacts de l’investissement étranger sur l’agriculture locale ?
« À madagascar, L’agriculture figure comme un secteur d’activité important,comme un secteur d’activité important, contribuant À plus de 20 % du PIB etcontribuant À plus de 20 % du PIB et occupant plus de 60 % de la populationoccupant plus de 60 % de la population active. L’agriculture familiale localeactive. L’agriculture familiale locale fournit environ la moitié des besoinsfournit environ la moitié des besoins alimentaires nationaux. »alimentaires nationaux. »
Hélène Capocci
« Terre riche et fertile ; 18 millions d’hectares de terre cultivable, 35 millions d’hectares de terre de pâture ; personnes sympathiques et travailleuses ; coût de production compétitif avec un salaire minimum de 70$/mois ; un marché local très ouvert (80 % d’importations) ; EDBM... simplifie le business ».
Cet extrait provient d’une video promotionnelle de l’Economic Development Board of Madagascar (EDBM), l’agence gouvernementale visant à promouvoir l’investissement étranger. Comme on peut le lire, le secteur agricole semble offrir de nombreux avantages pour les entreprises en quête d’investissement rentable. Mais quels sont les impacts sur l’agriculture locale et l’insécurité alimentaire, qui touche près de la moitié de la population malgache ? Eléments de réponse avec Hélène Capocci, auteure du document d’analyse d’Entraide et Fraternité Simplifier le business : regards croisés sur les zones franches de Madagascar et Haïti.
À Madagascar, plus de 90 % de la population survit avec moins de deux dollars US par jour, et la majorité des pauvres vivent dans les zones rurales. Pourtant, l’agriculture figure comme un secteur d’activité important, contribuant à plus de 20 % du PIB et occupant plus de 60 % de la population active. L’agriculture familiale locale fournit environ la moitié des besoins alimentaires nationaux. L’île, particulièrement riche en biodiversité, est dans un même temps le réceptacle de violents phénomènes climatiques extrêmes (sécheresses, cyclones, etc.) rendant l’activité agricole précaire et incertaine. Les récoltes sont donc menacées par des catastrophes naturelles bien souvent imprévisibles, et le manque criant de terres aux mains des communautés paysannes ne leur permet pas de s’assurer une production suffisante pour vivre dignement. À Madagascar, les activités agricoles familiales sont menées sur moins d’un hectare par exploitation. Si les infrastructures manquent (réseau routier et de communication notamment), Madagascar occupe néanmoins une position géostratégique pour les échanges commerciaux. Ses dirigeants, encouragés par les bailleurs de fonds internationaux, en viennent à considérer l’ouverture économique des frontières comme la seule issue possible de la pauvreté et la faim. Dès lors, plutôt que de soutenir l’agriculture locale en développant des systèmes d’irrigations adaptés au défi climatique, en formant les paysan·nes aux pratiques écologiques, ou en développant des infrastructures et une industrie de transformation locale..., les pouvoirs publics se tournent vers la facilité à rendement presque immédiat : l’agriculture d’exportation, même si ce type d’agriculture ne nourrit pas la population locale.
Ce choix résulte en réalité d’un calcul simpliste et abusif : le développement de l’agrobusiness engendrerait une croissance économique rapide et créerait mécaniquement des emplois. Pour développer l’agrobusiness, nul besoin d’investir largement dans les infrastructures, il suffirait de recourir aux atouts locaux, à savoir de larges superficies de terres productives « disponibles » et une main-d’œuvre bon marché. La richesse engendrée contribuerait donc automatiquement à améliorer le niveau de vie, et à faire de la malnutrition un mauvais souvenir. Une stratégie qui dépend de l’investissement de bailleurs internationaux comme la Banque mondiale et la Banque africaine de développement, mais également de celui d’entreprises privées. Une stratégie qui a donc donné lieu à la création de « zones franches ».
Une zone franche, aussi dénommée « zone économique spéciale », a pour but de stimuler l’activité économique uniquement destinée à l’exportation. Il s’agit d’une zone géographique où les règles fiscales et commerciales sont avantageuses pour les entreprises étrangères. Celles-ci bénéficient d’avantages auxquels n’ont pas droit les autres entreprises produisant à destination des circuits nationaux. Cela s’intègre dans la stratégie de libre-échange pour favoriser le développement économique, particulièrement prisée par des pays comme la Chine, l’Inde ou la Russie, ou encore des institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI. Présentée parfois comme des conditions nécessaires pour bénéficier d’un prêt ou d’un programme d’aide, la création de zones franches se multiplie particulièrement dans les pays du Sud ces 40 dernières années.
À Madagascar, on compte plus ou moins 250 entreprises qui profitent de ce régime avantageux, dont un tiers sont actives dans l’agrobusiness, selon l’EDBM. Le secteur textile est également particulièrement représenté.
L’application du modèle des zones franches engendre des répercussions dramatiques pour les communautés paysannes. La dépossession paysanne est un trait caractéristique de la logique des zones franches. Cela implique dans les faits des accaparements de terres, des déplacements de population, des violations du droit international à la consultation préalable libre et informée, et des épisodes de criminalisation en cas de résistance.
De plus, il est observé que le travail dans les zones franches est plus pénible et moins bien rémunéré que dans le secteur industriel formel. En effet, les horaires de travail y sont plus lourds alors que le rythme de travail est plus contraignant. Pour compenser le fait que les salaires soient d’un tiers plus bas par rapport au secteur industriel formel, une logique d’individualisation de la rémunération prévaut : des primes au rendement et autres incitations à la productivité font en sorte de remotiver les travailleurs. Sans surprise, on remarque également un roulement du personnel plus important. Tout ce système s’apparente à une « recolonisation économique » étrangère, favorisant les délocalisations, le dumping social et la volatilité des investissements une fois que l’activité n’engrangerait plus des bénéfices jugés suffisants.
Tout à fait. L’annonce en 2016 d’un projet de loi sur les zones d’investissement agricole (ZIA) a donné des sueurs froides au monde paysan. Ce projet visait à créer des « zones économiques spéciales » propres au monde agricole, notamment en facilitant les conversions de terrains domaniaux de l’État en terres exploitables par les investisseurs privés. L’objectif affiché était de transformer deux millions d’hectares en ZIA en dix ans. Heureusement, un plaidoyer de la société civile s’est vivement opposé à ce projet, démontrant les répercussions catastrophiques que cela aurait sur l’agriculture familiale.
Une victoire de courte durée. Bien que cette loi ne soit pas passée, d’autres projets de loi menacent la petite agriculture, comme la nouvelle loi foncière agricole qui, elle, a malheureusement été approuvée. Il est question de la suppression de la « présomption de propriété » pouvant être revendiquée par les paysan·nes qui n’ont pas de titre foncier formel. Ce droit constituait pourtant une des grandes avancées de la réforme foncière de 2005, permettant de faire reconnaître les droits coutumiers des paysan·nes. Il s’agit donc d’un retour en arrière, vers une situation où les paysan·nes qui cultivent des terres depuis des générations sans document officiel pourraient se faire exproprier sans aucune indemnisation par l’État ou une entreprise bénéficiaire, si ce terrain se situe dans un périmètre minier ou une zone d’un projet dit d’intérêt public. Cela expose donc les petits agriculteurs à un risque d’accaparement de terres, leur retirant les garanties qui leur permettaient d’avoir un minimum de sécurité foncière.
Quand on voit les documents de promotion de l’agrobusiness du gouvernement malgache, il est question de « 60 millions d’hectares dont la plupart sont adaptés à l’agriculture mais moins de 10 % utilisés ». Ceci laisse entendre que les terres sont libres d’occupation et n’attendent qu’une chose : qu’un investisseur y installe ses monocultures intensives. Or, quand on regarde de plus près, on voit que les espaces agricoles sont saturés (mais bien souvent, sans que les paysan·nes ne détiennent de titre foncier) et font l’objet d’une rude compétition. Les conflits fonciers sont un fait social de taille puisqu’ils représentent, à eux seuls, 30 % des litiges portés au tribunal national à Madagascar. Une déclaration a été signée par 122 associations malgaches pour dénoncer les effets attendus par cette nouvelle législation. Nos partenaires malgaches redoublent d’efforts pour contrer le phénomène d’accaparement des terres de la part de grandes entreprises et pour soutenir les paysan·nes dans leur combat pour plus de sécurité foncière.
Censée susciter une croissance inclusive qui mettrait le pays sur la voie de l’innovation et du développement, la libéralisation de l’agriculture a des impacts terribles pour les paysan·nes en leur retirant leur terre, leur autonomie et en les rendant encore plus dépendants du marché international.
Si le modèle promu actuellement pour lutter contre la faim et la pauvreté équivaut à appauvrir la paysannerie locale et affaiblir la souveraineté alimentaire nationale, rappelons-nous qu’il n’est jamais trop tard pour faire volte-face et que des alternatives basées sur l’agroécologie existent. Mais pour que ces alternatives soient viables et prennent de l’ampleur, la remise en cause de l’idéologie du libre-échange est nécessaire.