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8 mars 2012  Archives des actualités

Journée de la femme : Rosa, une vie consacrée à la terre

« Je suis née ici, je vis ici et je mourrai ici », nous dit Rosa, un sourire mélancolique en coin et le regard portant au loin sur ses champs. C’est que Rosa et la terre, c’est une histoire de passion, de peines, de larmes mais de joies aussi.

Lorsque la petite paysanne de Jocomico Arriba, au Nicaragua, épouse Arnulfo, il y a 30 ans, elle n’imagine sans doute pas le long chemin de croix qui l’attend elle, son homme et sa famille. La terre ne se donne pas comme ça. Il faut sans doute payer le prix.

Nous sommes en 1981 et le tout nouveau gouvernement sandiniste révolutionnaire redistribue aux petits paysans des parcelles expropriées à la bourgeoisie terrienne du pays. Une ère nouvelle s’ouvre. L’espoir est au rendez-vous. Mais la contre-révolution s’organise. Au nom de la lutte anti-communiste, des bandes de guérilleros incendient les coopératives, dévastent les écoles, détruisent les centres de santé.

Arnulfo abandonne sa houe, son nouveau champ et sa belle Rosa. Appelé sous les drapeaux, il plonge dans l’enfer de la « grande guerre patriotique », celle qui veut « défendre les acquis de la révolution ». Pendant six longues années, avec son unité, il se bat dans les montagnes du nord du pays, à la poursuite des contras.

Lorsqu’Ortega, le leader sandiniste défait, remet le pouvoir à la droite conservatrice en 1990, Rosa et Arnulfo craignent qu’on ne leur reprenne leur terre si précieuse. Heureusement pour eux, l’ancien propriétaire est décédé entre-temps et ses héritiers ont migré aux quatre coins du monde.

La vie reprend donc son cours mais les programmes d’austérité économique ne sont pas propices au développement des campagnes. La famille, qui entre-temps compte cinq enfants, s’échine à arracher à la terre de quoi manger. Le travail est dur et on manque de tout : engrais, crédits, outils, savoir-faire… Lorsque vient la saison sèche, le spectre de la famine rôde.

Travailler la terre encore et encore

Épuisé par ses années de guerre et par le dur labeur quotidien, Arnulfo s’éteint à 30 ans. Emporté par une banale infection pulmonaire. Et revoilà Rosa seule avec ses cinq enfants. « Chaque journée était un combat. Je devais défendre mon bien contre les convoitises des voisins, faire valoir mon droit à la propriété même si je suis une femme, éduquer mes petits et les envoyer à l’école même si j’avais besoin de bras dans les champs, organiser l’approvisionnement en eau… et travailler la terre … encore et encore », raconte-t-elle.

Souvent, Rosa est tentée de baisser les bras. Heureusement, la solidarité s’organise dans les campagnes. Sous l’impulsion de l’association La Cuculmeca, les femmes et les hommes des villages de Jocomico Arriba et Jocomico Abajo se réunissent pour mettre en place un groupement paysan. L’objectif : s’entraider pour produire suffisamment et manger à sa faim ! Rosa en fait tout de suite partie.

« J’ai appris beaucoup de choses utiles : comment préparer de l’engrais, des fertilisants et de l’insecticide biologiques, comment améliorer l’irrigation. Un fonds communautaire s’est mis en place et nous l’avons géré nous-mêmes, les paysans. J’ai reçu un prêt de 250 $, une vraie fortune. Cela m’a permis de relancer mon exploitation. J’ai acheté du bétail, des graines de qualité, j’ai introduit de nouvelles plantes dans mon potager et mes champs ». J’ai aussi reçu des conseils pour nourrir le bétail durant la saison sèche. J’ai acheté des outils et un silo à grains pour conserver mes récoltes ».

En outre, elle bénéficie d’un petit circuit de commercialisation mis en place dans la région par les différents groupements paysans, ce qui va lui permettre d’écouler quelques surplus, de gagner quelques sous et … de rembourser son emprunt.

Ensemble le groupe de paysans organise aussi la vente et l’achat de graines indigènes de maïs (un bon moyen de lutter contre les OGM), il achète aussi des produits vétérinaires et il se lance dans la construction d’un magasin. Les paysans se prennent même à rêver de routes meilleures (indispensables pour écouler la production) et ils interpellent les pouvoirs publics à ce sujet.

« Aujourd’hui, j’ai plus de 50 ans et je suis quelqu’un d’heureux. Je ne suis riche mais je mange tous les jours à ma faim. Mes enfants ont grandi en bonne santé et sont partis vivre leur vie ailleurs. L’aînée est devenue institutrice. Un de mes fils est employé dans un ministère », dit-elle avec fierté.

Rosa contemple la terre, sa terre… Un jour, elle sait qu’elle la rejoindra pour y être ensevelie. Un sentiment de plénitude et de devoir accompli l’envahit alors. La terre appartient aux paysans, les paysans appartiennent à la terre. Cette vérité immuable donne à Rosa la sensation d’avoir suivi sa destinée. À charge pour celles et ceux qui la suivront d’en faire autant, dans le respect de la terre et des paysans.

François Letocart avec Valérie Martin





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