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2 février 2018  Archives des actualités

Des éblouissements au milieu du chaos

Dossier Burundi & RD Congo

La campagne du Carême de partage d’Entraide et Fraternité portera sur l’agroécologie au féminin dans deux pays d’Afrique centrale, le Burundi et la RD Congo.

Cet été, cinq bénévoles d’Entraide et Fraternité ont été visiter un grand nombre de projets. Ils en rapportent l’image de pays fracassés certes mais où les partenaires locaux et leurs bénéfciaires ont résolument pris le parti de voler de leurs propres ailes grâce à un programme mêlant solutions pratiques et nouvel équilibre entre les sexes.

Au mois de juillet dernier, ils sont partis à cinq bénévoles d’Entraide et Fraternité durant trois semaines au Burundi, au Rwanda et dans le Sud Kivu (RD Congo). Durant trois semaines, ils ont découvert le chaos d’une RDC sans État, les contradictions de régimes voisins en grands progrès malgré une même diffculté à envisager l’alternance démocratique. Mais, surtout, dans ce contexte complexe, ils ont découvert des partenaires qui, chacun à leur échelle, font « leur part » dans la perspective d’un accès à la souveraineté alimentaire. Comme le résumait fort joliment Jacques Delcourt (Juste Terre ! n°141 - septembre 2017), « le sentiment de malaise devant tant de pagaille, de misère est un coup de poing violent dans la tête, dans le ventre. Mais dans un deuxième temps, une lumière brille dans les ténèbres, les associations qu’Entraide et Fraternité soutient font littéralement des miracles. »

Le riz pour suppléer le manioc

Ses quatre compagnons de voyage partagent cette vision d’une lumière d’espérance dans un chaos indescriptible au bout d’un voyage sans routes ni eau ni électricité, ce qui en est encore la partie la plus anecdotique des choses. José Vandeput, prêtre-auxiliaire à La Louvière, connaissait le Burundi depuis longtemps puisque dans les années 1969-1970, il y a enseigné au collège NotreDame de Gitega (centre du pays) créé par l’évêque de Tournai. C’était juste avant le - peu connu - génocide des Hutus par la majorité tutsie (300 000 morts en 1972) qui a causé la mort de sept élèves et trois enseignants de l’école. « C’était difficile pour nous dès lors de retourner sur place à l’époque mais, durant toutes ces années, nous avons continué à soutenir cette école et j’ai tenu à lui rendre visite à titre personnel lors de ce voyage. » Même si l’on peut avoir cette impression que tout va mal dans ces pays, spécialement en RDC où le constat est clairement celui de la faillite complète de l’État, José Vandeput n’hésite pas à parler d’« éblouissement » quand il évoque le travail des associations partenaires d’Entraide et Fraternité : « Bien sûr, on pourrait se focaliser sur ce qui ne va pas, sur le fait que la RD Congo, le Burundi et le Rwanda partagent cette situation d’avoir des présidents qui refusent l’alternance démocratique et où, spécialement dans le cas congolais, plus rien ne fonctionne et où l’armée n’est pas payée et établit des barrages routiers pour faire du racket. Ce qui m’a frappé de manière globale par rapport à ces associations, c’est la qualité de leur organisation et le rôle énorme qu’y prennent les femmes. Ces associations démarrent littéralement au ras du sol, c’est-à-dire en développant l’agriculture dans le sens d’une agroécologie, et cela avec des moyens tout simples, des bêches et des houes comme on en rencontre dans toutes les fermes du monde. Elles travaillent sur des ‘casiers’, le nom donné à des petites parcelles de 25 m2, creusent des rizières, rien de très coûteux ni de très complexe. Au-delà de la technique, c’est l’approche personnelle qui est remarquable : dès que cinq personnes sont formées à ces techniques, elles les expliquent à leur tour à leurs voisins, c’est extraordinaire. » Philippe Gabriel, retraité des ressources humaines, a également été professeur en Afrique centrale (au Zaïre, lui). Aujourd’hui, il découvre des pays où l’alimentation de base est en pleine évolution. « Un problème commun aux trois pays est la maladie dont est victime le manioc, aliment capital qui, de ce fait, est petit à petit remplacé par la culture du riz. Les habitudes alimentaires sont en train de changer. Une des grandes priorités des associations sur le terrain est de créer des micro-barrages, de creuser des fossés pour acheminer l’eau et de creuser des rizières. Grâce au riz et aux techniques originaires de Madagascar, désormais on récolte 700 kg de riz là où, avant, on devait se contenter de 200 kg. » Une autre pratique de plus en plus développée concerne l’élevage (elle est tellement efficace que le Rwanda l’applique désormais de manière officielle). Ecoutons José Vandeput et Philippe Gabriel nous la décrire : « Les associations distribuent une bête - cochon, vache, chèvre - à des familles qui vont ensuite redistribuer les deux premiers petits à d’autres familles, elles peuvent garder les suivants. Elles sont aidées par des vétérinaires et des agronomes, qui leur expliquent comment procéder. L’intérêt n’est pas tant la viande que l’animal donnera ni même le lait mais prioritairement la fumure organique, l’engrais naturel qui permet de conserver les semences dans des banques (des hangars protégés des pillages par des agents de sécurité payés par les coopératives) pour l’année suivante, ce qui, à terme, améliore le sol et encourage la gestion des déchets. Bref, c’est tout bénéfice : les paysans deviennent autonomes, protègent le sol et s’affranchissent de Monsanto. »

Les hommes aux champs aussi…

Nombre de ces coopératives, par exemple autour de l’APEF (Association de promotion de l’entreprenariat féminin, au Sud Kivu), se mettent en place autour des femmes. La question du genre occupe effectivement désormais une position centrale dans les transitions sociétales qui se mettent en place dans cette région. « Quand j’étais là-bas au tournant des années ‘60 et ‘70, il ne m’est jamais arrivé de voir les hommes travailler dans les champs, dit José Vandeput, c’était culturellement inimaginable : il était inscrit dans la culture que l’homme gérait le ménage et que la femme travaillait. Or, désormais, nous voyons des hommes dans les champs, il y a donc une véritable évolution culturelle grâce à la formation. Le rôle des associations est donc visible dans les faits et cela est très stimulant. Je pense, par exemple, au Comité pour l’autopromotion de base, qui luttait contre la malnutrition des enfants, au début en les soignant, à présent en améliorant l’alimentation. C’est à la gloire d’Entraide et Fraternité et d’autres associations de s’attaquer aux causes plutôt qu’aux symptômes. C’est la preuve qu’on peut faire évoluer les choses par une multitude de petites initiatives. Et, de la création d’un champagne aux ananas à l’amélioration des foyers pour faire bouillir l’eau et la rendre potable en passant par la création d’écoles de maçonnerie ou de menuiserie, les idées fleurissent partout. Dont on voit le résultat direct sur le terrain. Alors, on se dit que ce que l’on fait ici et en Belgique vaut la peine ! » Agroécologie, irrigation, élevage, épargne-crédit, création de coopératives, place des femmes : les chantiers ne manquent pas et sont à échelle communautaire, comme en atteste la terminologie (micro-crédits, micro-barrages, mini-ateliers…). Comme le dit Philippe Gabriel, « il est scandaleux d’imaginer que l’on doute du bien-fondé d’aider ces gens, mais il faut le faire de manière durable. Il ne faut pas des solutions hyper sophistiquées mais répondre à des besoins primaires, pas besoin de tracteurs quand il n’y a pas de mazout ! »

Chaîne de solidarité »

Pour José Nzazi, curé (originaire de Kinshasa) des paroisses de Neder-Over-Heembeek (Bruxelles), le plus frappant concerne le volet formation : « L’idée est vraiment que les gens puissent voler de leurs propres ailes et identifer d’abord eux-mêmes leurs problèmes. Ce n’est pas Entraide et Fraternité qui dispense les formations, mais qui finance celles données par des acteurs locaux. Cela change absolument tout : on n’est pas dans la vision paternaliste du développement. Ces associations font le travail d’un État défaillant et ceux qui travaillent pour elles ne comptent pas leurs heures car c’est une question de vie ou de mort. Dans ces pays, on voit beaucoup de panneaux attestant du soutien de telle ou telle ONG mais aucun résultat sur le terrain car l’argent s’est perdu. Entraide et Fraternité fait exactement le contraire : pas de publicité mais un travail impressionnant sur des thèmes et des communautés ciblés. »

Expert en mobilité et historien de formation, Henry Maillard conclut par une analyse : « J’essaie de toujours me placer dans une perspective opérationnelle et de répondre à la question : est-ce que ce que les partenaires locaux apportent est pertinent et approprié dans le contexte ? Je pense pouvoir répondre par l’affrmative : les partenaires d’Entraide et Fraternité ne sont pas du tout dans la charité, mais dans des projets qui agissent pour faire changer les structures et faire inverser les courbes. Il ne faut pas confondre charité et équité. Ce qu‘ils font permet aux populations de trouver leur autonomie et, à terme, espérons-le, la paix et l’ordre public. C’est un droit de pouvoir vivre chez soi sans envisager de migrer, y vivre dans des conditions décentes, dans la sécurité, a fortiori quand les richesses naturelles sont là. Des sujets comme le genre, les changements climatiques, le microcrédit, la démocratie sont importants mais ils sont induits ; la base du problème, c’est d’assurer une qualité de vie et un ordre public de base aux gens. » C’est ce qu’à leur échelle, font, sur le terrain, les partenaires. Et José Nzazi de conclure : « C’est une goutte dans l’océan mais qui fait tache d’huile : là-bas, on appelle cela une chaîne de solidarité. »





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